Erns Zürcher

« La forêt suisse peut-elle répondre à nos besoins. À quelles conditions et à quel prix ? » Telle était la question posée aux participants à cette table ronde.
La réponse a été claire. Oui, mais à certaines conditions prenant en compte de nouveaux problèmes.

Quel impact le réchauffement et les changements climatiques ont-ils sur la forêt suisse ? Comment y faire face avec résilience ? Quelles conséquences sur la sylviculture et l’activité économique de transformation et d’utilisation du bois ? Comment les marchés financiers perçoivent-ils ce secteur ? S’y intéressent-ils plus qu’avant, en raison de la tendance vers l’écologie et la neutralité carbone ?

Telles ont été certaines pistes abordées par la table-ronde organisée par Lignum-Genève en partenariat avec la Fondation FEDRE le Cercle des Dirigeants d’Entreprises. D’intéressantes pistes ont été esquissées. Le constat de départ est que les différents scénarios du réchauffement climatique à l’horizon 2050-2080 vont modifier profondément l’aspect de la forêt suisse. Certaines espèces vont se raréfier, d’autres se réfugier dans les régions de montagne, plus fraîches. Des tempêtes alternant avec des périodes de sécheresse vont affecter nos massifs forestiers.

Faudra-t-il implanter des espèces étrangères pour compenser les pertes ? C’est inévitable, mais il faudra le faire de manière raisonnée. L’industrie devra elle aussi s’adapter à la nouvelle donne. Dans ce contexte, les réponses seront efficaces si tous les acteurs – confédération, cantons, propriétaires forestiers – agissent en parfaite harmonie et concertation.
A ces problèmes s’ajoutaient naturellement celui de la transformation du bois.

Les scieries suisses, qui manquent d’appuis pour des agrandissements ou créations, sont sous-dimensionnées pour transformer tout notre bois. C’est ainsi qu’un fort pourcentage de notre production forestière part à l’étranger, parfois très loin, pour ensuite être réimporté en produit fini. Pour modifier progressivement cette anomalie, les dernières générations de scieries mobiles complétées par des espaces de stockage, ouvrent de bonnes perspectives environnementales et économiques, permettant la réalisation d’une valeur ajoutée locale et la création d’emplois en évitant d’alimenter le tourisme international du bois générateur de pollutions. Cette situation, mise en exergue avec un appel au changement, lors des Rencontres WoodRise de Genève en 2019, est incohérente par rapport à nos objectifs environnementaux.

Selon un intervenant, « des médias dramatisent à l’excès les effets de la montée actuelle des prix du bois en ne traitant qu’un seul maillon de la chaîne ». Or cette augmentation n’affecte à l’arrivée que 3,5% à 4% de la valeur des constructions et n’a donc qu’un impact réduit sur le coût de celle-ci.

Il demeure important de « comprendre la forêt comme un système écologique ». Deux éléments sont vitaux : l’ombre et l’eau. Pour préserver ce système, il faudra, comme on en a la tradition en Suisse, continuer à « maintenir un système forestier fermé », avec seulement de petits prélèvements pour éviter les risques de dessèchement. L’eau deviendra un facteur de plus en plus important à cause des risques de sécheresse. À Genève, par exemple, on pourrait imaginer de moins faire de drainage, pour garder l’eau dans les forêts.

D’un point de vue écologique, le bois a une valeur d’autant plus grande qu’il retient le CO2 grâce à la photosynthèse. Cet élément crucial ne doit pas être oublié lorsqu’on fait le bilan environnemental comparatif des constructions, par rapport aux constructions de béton ou d’acier. Mais, si l’on recourt plus au bois, devra-t-on en importer ? Nous disposons d’une bonne réserve dans nos circuits courts, si l’on considère que le Grand Genève a 80’000 ha boisés qui « peuvent couvrir 50% des besoins en constructions ». Par ailleurs, en Suisse, sur les 10,8 mio m3 de bois produits chaque année, « 2-3 mio m3 sont inexploités » : c’est une marge importante qu’il faudrait songer à mieux utiliser à l’avenir.

Les financiers considéraient jusqu’ici le bois comme « un marché cyclique sans croissance ». Désormais ils ont tendance à le voir comme « un secteur de croissance forte », car il est un matériau idéal pour répondre à l’objectif de neutralité carbone prévu pour 2050 en Europe et aux Etats-Unis, et pour 2060 en Chine. Alors que le prix du carbone augmente sous la pression de ces objectifs, la forêt apparaît en effet de plus en plus comme le moyen le moins onéreux de réaliser une capture importante de carbone.

Après le refus de la loi CO2, des actes concrets, qui n’en dépendent pas, ne doivent pas attendre. La gestion avisée de nos forêts et un plus large usage du bois agissent en faveur du climat et du captage du CO2. Lignum Genève et les Communautés d’Actions Régionales de Lignum Suisse poursuivent leur action de sensibilisation en faveur de la filière du bois et se retrouveront du 7 au 9 octobre au Musée Olympique de Lausanne pour les Rencontres Romandes du Bois. Retenez cette date !

Animation et conclusions de la table ronde : Claude Haegi, Président de Lignum Genève et de la Fondation Européenne FEDRE pour le développement durable des Régions.

Intervenants

Patrik Fouvy – directeur du service des forêts et du paysage, Dép. du Territoire, État de Genève.
Michael Reinhard – chef du service des forêts à la Direction de l’Office fédéral de l’environnement.
Ygal Sebban – économiste et stratégiste des marchés financiers, gérant de portefeuille chez Evooq SA.
Ernst Zürcher – ingénieur forestier, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.
 
La vidéo :